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lundi 13 juin 2011

L'ensemencement du doré jaune dans le Grand lac Saint-François, un projet viable?

Le Grand lac Saint-François, à Saint-Joseph-de-Coleraine
Le Grand lac Saint-François est bien connu des pêcheurs de dorés et sa réputation n’était jusqu’à récemment, plus à faire. Pourtant, la pêche sportive dans ce grand lac du Québec est loin d’être facile! Pour réussir à pêcher du doré, il faut s’armer de beaucoup de patience. Selon un sondage effectué en 2010 par le Ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) concernant le degré de satisfaction des pêcheurs de doré, 51 % des pêcheurs étaient peu ou pas satisfaits de la qualité de la pêche sportive au doré.

Actuellement, le doré jaune se trouve dans au moins 1 578 lacs au Québec. Le doré jaune est davantage prisé par les pêcheurs puisqu’il atteint une taille intéressante avant même d’être sexuellement mature, contrairement à d’autres espèces. Par conséquent, bien des dorés sont pêchés avant d’avoir eu la chance de se reproduire, ne serait-ce qu’une seule fois.

Selon l’enquête sur la pêche sportive au Canada (2005), la récolte de pêche sportive de dorés était d’environ 8 millions de poissons, ce qui en fait la deuxième espèce en importance au Québec, la première étant l’omble de fontaine. Selon le Ministère de l’Agriculture, pêcheries et alimentation (MAPAQ), plusieurs populations ont sérieusement décliné au cours des dernières années à cause de la sensibilité de ce poisson à la pollution par les pluies acides et autres déchets toxiques, notamment provenant du secteur minier. En l’an 2000, le lac a d’ailleurs reçu la cote « mésotrophe avancé », ce qui signifie que le lac est un milieu dans lequel la disponibilité en éléments nutritifs est de valeur moyenne. De plus, au cours des dernières années, on a vu l’apparition d’algues bleues dans le lac. L’introduction de l’éperlan dans les années 1960 et 1970 a eu aussi un impact important sur la population de dorés, car ceux-ci mangent entre autres des petits dorés.

État des populations de dorés
Après analyse de l’ensemble des facteurs limitant l’abondance du doré, le MRNF conclut que la pêche est le principal facteur responsable de la dégradation de l'état des populations de doré jaune. En effet, l’analyse des données d’inventaire démontre une importante dégradation de la structure des populations (peu de géniteurs) de même qu'une diminution marquée de la qualité de la pêche (succès et masse moyenne faible). De plus, il semblerait que le marnage a lui aussi un impact majeur sur les dorés. Nous y reviendrons plus bas.
Dorés en fraie, au pont de la rivière d'Or
Le doré jaune est surexploité dans environ 30 % des lacs qui ont été inventoriés depuis 1988. De plus, on observe que le taux de mortalité subie par les populations a augmenté de 17 % au cours des deux dernières décennies, ce qui indique que l’état des populations continuera à se dégrader si la pression de la pêche demeure constante. La qualité de la pêche s’en ressent puisque la masse moyenne des prises a diminué de 20 % en 20 ans. En plus de la pêche, le marnage vient compliquer cette situation déjà précaire.

L’impact du marnage sur le doré jaune dans le Grand lac Saint-François
La dernière étude du lac, effectuée en 1998-2000, sur la « Caractérisation ichtyologique (faune aquatique) du lac Saint-François et état de la population de dorés jaunes » réalisée par le gouvernement du Québec (Société de la faune et des parcs du Québec, direction de l’aménagement de la faune, région Chaudière-Appalaches) et publiée en août 2001, confirme que la qualité de la pêche sportive a largement diminué en comparaison avec les mêmes études conduites en 1976 et 1985. Selon la compilation du Carnet du pêcheur en 1999 et 2000, la prise d’un seul doré nécessitait environ 50 heures de pêche alors qu’un bon lac à doré n’en demande que 3,3 heures.

Pourquoi alors les populations de doré dans le lac se sont-elles autant dégradées ? Peut-on rejeter entièrement la faute sur la pêche ? Ce serait plutôt la combinaison de plusieurs facteurs. Il semblerait qu’une partie de la réponse se retrouve dans l’impact du barrage Jules-Allard situé sur le Grand lac Saint-François, qui a d’énormes conséquences sur le niveau d’eau du lac, notamment à cause du marnage sévère qu’il engendre.
Le barrage Jules-Allard, sur la rivière Saint-François
Brièvement, le marnage désigne la différence de hauteur mesurée entre le niveau des hautes eaux et des basses eaux. Dans le cas d’un plan d’eau où l’on retrouve un barrage, la différence entre les deux est souvent beaucoup plus grande qu’une fluctuation naturelle due aux saisons.

La reproduction du doré jaune et de plusieurs autres espèces de poissons est grandement influencée par le marnage qui se fait sur le Grand lac Saint-François. Le marnage engendre une baisse du niveau d’eau du lac d’environ sept mètres et le niveau d’eau du lac est contrôlé par un barrage géré par le Centre d’expertise hydrique du Québec (CEHQ). Le marnage sévère, comme celui que subit le Grand lac Saint-François, constitue une nuisance à la reproduction et une explication fort probable de la diminution dans l’abondance de certaines espèces comme le doré jaune.  En effet, ce marnage cause une perte d’habitats d’alevinage sur le pourtour du lac, ou encore une accessibilité restreinte à certaines frayères en période de niveaux d’eau très bas.

Selon un rapport sur l’état de la population de doré jaune au Grand lac Saint-François (Major et al., 2001), une relation significative a été établie entre le recrutement de dorés et le niveau d’eau du lac lors de la reproduction de cette espèce. En effet, l’abondance de dorés a diminué de façon importante et systématique lors des années présentant un niveau d’eau inférieur à 286,1 mètres pendant la période de fraie et d’alevinage. Le niveau d’eau printanier tardait trop longtemps à monter pour procurer un accès adéquat aux sites de fraie pour le doré. Or, les changements naturels sont souvent de l’ordre de quelques centimètres lorsque l’on parle du niveau d’eau dans des lacs, ce qui est loin des sept mètres souvent imposés aux populations du Grand lac Saint-François.

Les conséquences du marnage sur la faune aquatique du Grand lac Saint-François constituent l’une des principales préoccupations des riverains, et ce, depuis plusieurs années. Plusieurs pensent que le marnage sévère constitue une nuisance à la reproduction et une explication plausible de la forte diminution dans l’abondance de certaines espèces comme le doré jaune.

Le projet d’ensemencement de l’Association des riverains du Grand lac Saint-François (ARGLSF)
Pour tenter d’améliorer la situation dans le Grand lac Saint-François, l’Association des riverains du Grand lac Saint-François (ARGLSF) a lancé le projet d’ensemencement en septembre 2008. Le projet prévoit des ensemencements de dorés et de ouananiches pour les années 2011 à 2015. L’ARGLSF veut ainsi :
  • rendre la pêche sportive attrayante et fructueuse ; 
  • maintenir la qualité des espèces de poissons ;
  • préserver la ressource du lac ;
  • améliorer la vocation récréotouristique de la région ;
  • développer et maintenir des relations avec les gouvernements et les intervenants du milieu en relation avec le projet.
Aspect financier du projet
Le projet d’ensemencement prévoit un budget de 10 000 $ par an pendant 5 ans (donc 50 000 $). Le montant recueilli au 31 décembre 2010 était de 11 515 $ aux états financiers de l’ARGLSF. Comme il a été décidé lors de la téléconférence du 18 janvier dernier, l’ARGLSF a adopté unanimement de maintenir la commande de 7 000 dorés au montant de 9 450 $ pour l’automne 2011 et d’y ajouter pour ensemencement au printemps 2011 une commande de ouananiches au montant de 7 300 $ pour les poissons et de 1 100 $ pour le transport provenant de la pisciculture Salmotherm de St-Félicien au Lac-Saint-Jean.

Pour le financement annuel du projet, l’ARGLSF prévoit : 4 000 $ (subventions, commanditaires), 3 000 $ de la Grande association, 3 000 $, c’est-à-dire 1 000 $ par association locale. L’association des riverains du Grand lac Saint-François a aussi demandé une augmentation de 5 $, portant le coût de la carte de membre à 25 $.
Une belle ouananiche, pêchée sur la rivière St-François, près du barrage Jules-Allard
Brève chronologie des évènements sur le projet
Malgré que l’ARGLSF sait depuis octobre 2008 que le MNRF ne participerait pas financièrement à l'ensemencement de dorés (ensemencement qu’elle ne finance dans aucun autre lac de la région Chaudière-Appalaches d’ailleurs), l’ARGLSF a décidée de maintenir sa position. En janvier 2009, Monsieur Major, biologiste du MNRF ayant effectué une étude sur le Grand lac Saint-François, répète une fois de plus que le MNRF ne recommande pas l’ensemencement, mais ne s’y opposera pas, si le financement provient d’ailleurs. Le MRNF planifie d’ailleurs deux autres études d’envergure du Grand lac Saint-François et de ses tributaires. Ces deux études montreront l’évolution de la faune aquatique et les résultats pourront être comparés avec les études précédentes soient celles de 1999-2000, 1994-1995 et 1985. Le rapport final sera disponible en 2012.

Recommandations du MRNF (principalement M. Major, biologiste du MRNF)
Pour le doré, la situation est différente de la ouananiche. M. Major souligne qu’il serait préférable d’attendre les résultats de l’étude de 2012 avant d’ensemencer (car il y aura une pêche expérimentale en 2010 et 2011). Comme l’espèce est déjà présente dans le plan d’eau, il n’y aura aucun impact sur la faune à ensemencer du fretin de dorés dans le Grand lac, mais il n’y aura pas d’impact positif non plus. Par contre, de tels ensemencements ne se font donc pas en collaboration avec le MRNF et encore moins selon leurs recommandations.

On connait relativement bien la situation du Grand lac Saint-François en ce qui concerne l'ensemencement, mais qu’en est-il ailleurs dans la région ?

Ensemencement dans le lac Aylmer en 2009
L'Association des Riverains du Lac Aylmer inc. (ARLA), qui représente les 1 400 propriétaires riverains répartis dans les 5 municipalités en périphérie du lac Aylmer, a mandaté un biologiste du MRNF pour la réalisation en 2006 d'une étude visant à identifier les causes du déclin de la reproduction du doré jaune dans la rivière Maskinongé.
Le lac Aylmer, à la hauteur de Disraëli
Cette étude avait démontré qu'il existait des habitats de reproduction de grande qualité pour le doré jaune dans ce cours d'eau mais qu'ils avaient été abandonnés par les géniteurs à cause de la contamination de l'eau par les rejets toxiques des opérations minières dans ce bassin versant dans les années 60 et 70. Le rapport a convaincu les biologistes du MRNF de la nécessité d'amorcer un programme d'ensemencement pouvant s'étendre sur cinq ans, pour restaurer la population de géniteurs dans ces habitats de reproduction.

Dans le cas du lac Aylmer, voisin du Grand lac Saint-François, le MRNF a donc procédé en septembre 2009 à l'ensemencement de 1 500 fretins de dorés jaunes, dans la frayère de la rivière Maskinongé, située dans la municipalité de Stratford. Selon toute vraisemblance, l’absence du doré jaune en quantité dans la rivière Maskinongé, tributaire du lac Aylmer, s’expliquerait par l’activité des Mines Solbec et Cupra au début des années 1960, qui avaient pollué la rivière. Cependant, le but n’était pas d’améliorer la qualité de la pêche sportive dans le lac, mais de tenter de restaurer la frayère de doré dans la rivière. Ce n'est pas la même situation ici, au Grand lac Saint-François, il ne faut pas mêler les cartes!

Il faudra cependant attendre vers 2014-2015 pour en connaître les résultats (positifs ou non). Cependant, selon ce que les biologistes Sylvain Roy et Julie Royer du MRNF ont mentionné, le ministère ne finance plus aucun projet d'ensemencement désormais, ni pour les lacs de la région de Chaudière-Appalaches, ni pour ceux du Centre-du-Québec et de l’Estrie.

Position de l’Association des riverains du Chemin du barrage (ARC)
La position du MNRF (qui est partagée par nos voisins des États-Unis et de l'Ontario) est donc qu'il est parfaitement inutile de faire des ensemencements de soutien dans le cas du doré jaune. Ce principe est clairement démontré et accepté partout en Amérique du Nord. Malgré tout, l’ARGLSF tient à faire de tels ensemencements.
Olivier Bernard 9 ans, avec son père Rénald. Doré de 22 pouces et de 3,5 lbs pêché par Olivier
Les membres du Bureau de direction de l’ARC maintiennent leur appui à l’égard du projet d’ensemencement de l’ARGLSF. Comme beaucoup de riverains du lac, sans doute une grande majorité, ils souhaitent que toutes les mesures soient prises pour que les diverses espèces de poisson (doré, brochet, ouananiche, etc.) faisant autrefois du Grand lac Saint-François un lieu privilégié pour la pêche sportive, soient préservées, voire connaissent une nouvelle croissance.

L’appui du C.A. de l’ARC au projet d’ensemencement de l’ARGLSF ne se traduira toutefois, lors de l’Assemblée générale annuelle du 3 juillet prochain, par une option en faveur de la fin du moratoire voté en et le déblocage des fonds prévus comme contributions à son financement qu’à la condition expresse que l’ARGLSF renonce pour l’instant à l’ensemencement du doré dans son plan global de financement.
Il nous paraît en effet insensé de ne pas tenir compte de : (1) du résultat des études qui ont été effectuées dans divers lacs présentant des conditions comparables à celles qui caractérisent les eaux du Grand lac Saint-François et (2) des avis conséquents exprimés par les experts consultés (en particulier, ceux du MRNF).

L’argument à l’effet que « si nous ne tentons rien, nous ne pourrons pas savoir si un tel ensemencement n’aurait pas des chances de générer des résultats positifs », ne tient pas la route, car les études auxquelles il est fait allusion portent justement sur des tentatives de la sorte.

Toujours selon le MRNF et même Faune Québec, le succès des ensemencements de soutien ou de mise en valeur est variable et sont de manière générale, peu ou pas efficaces. De plus, ce type d’ensemencement pourrait avoir des conséquences négatives sur les populations naturelles en diminuant possiblement la taille et/ou l’abondance de doré et en pouvant même entraîner le remplacement de la population naturelle par des individus d’élevage uniquement.

Conclusion
L'ensemencement serait-il une solution de « dernier recours », un moyen palliatif pour ne pas laisser s'effondrer un stock déjà faible ? La restructuration ou revitalisation des berges, l'amélioration de l'eau du lac et la diminution du marnage sont des méthodes qui ont d’ailleurs déjà fait leurs preuves et qui seraient peut-être une bien meilleure alternative à plus long terme ? Ou faut-il plutôt encourager l’ensemencement malgré l’avis du MRNF? Et en passant, l'avis du MRNF n'est pas basé uniquement sur l'étude de M. Major, mais bien sur un consensus Nord-américain (de nombreux chercheurs américains et canadiens). Quoi qu’il en soit, comme dans tout système naturel, la question s’avère complexe!

Mélanie Jean
M. Sc. géogr.
Personne-ressource en environnement

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